Deux heures avec Sophie Loubière…

*

Sophie Loubiere

Sophie Loubière, permettez moi de vous présenter succinctement.

Vous êtes Française, née en Lorraine à Nancy, vous avez fait des études de littérature (lettres modernes) et vous êtes à la fois journaliste, productrice, écrivain, spécialiste de musique de films et scénariste. Vous avez travaillé longtemps pour France Inter et France info. Vous êtes l’auteure d’une dizaine de romans.
Vous décidez en 2010 de vous consacrer à votre œuvre littéraire. C’est alors que vous publiez « L’enfant aux cailloux » en 2011, qui est traduit en anglais et obtient une reconnaissance internationale (le livre est sorti dans une vingtaine de pays). Trois autres romans suivront : « Black coffee » en 2013, « A la mesure de nos silences » en 2015 et finalement « White Coffee » en 2016.

Nous parlerons ce soir de votre œuvre en général mais mettrons surtout l’accent sur trois de vos romans : « L’enfant aux cailloux » de par sa renommée et parce qu’il est traduit en anglais, mais aussi « Black coffee » et « White coffee » car l’intrigue pour les deux se passe essentiellement aux Etats-Unis. 

  • Sophie, est-ce une première fois à l’Alliance Française de Chicago ?

Oui, c’est la première fois.

  • Vous avez commencé à écrire des nouvelles et romans de littérature générale, puis vous vous êtes orientée vers la littérature policière (pour reprendre la thématique de couleurs que vous aimez bien : littérature blanche et littérature noire). Pourquoi ce choix ?

Même mes romans en littérature blanche étaient imprégnés de quelque chose d’un peu sombre. Le noir permet d’aborder des sujets très sociaux, proches de nous et je voulais me débarrasser peut-être de certaines contraintes. En littérature blanche on fait très attention au style, à l’originalité de l’œuvre, moins peut-être au contenu. Le noir permet d’aller très vite au fond des choses, et comme j’aime la littérature générale et que je suis nourrie depuis l’enfance des grands classiques, mon écriture de thriller n’a absolument rien à voir avec celle d’un auteur de roman noir traditionnel. En fait, je suis une tricheuse. J’écris en noir et blanc.

  • Comment interprétez-vous l’intérêt des lecteurs pour le roman noir ? Vous venez de nous donner votre point de vue en temps qu’écrivain ? Mais qu’en est-il du lecteur?

Le lecteur est comme un auditeur, il attend qu’on l’emporte avec une histoire. Il souhaite se retrouver dans les propos, dans les personnages. Mes deux premiers romans de littérature blanche étaient des romans un peu érotiques parce qu’ils traitaient d’un sujet que je souhaitais traiter à l’époque. J’avais une trentaine d’années, je vivais alors à Paris, c’était un moment dans ma vie ou cela m’intéressait d’interroger ma sexualité. La littérature blanche me correspondait très bien à cette époque pour exprimer ce que j’avais envie de partager. Un écrivain ne fait rien d’autre que partager avec le lecteur.
Mais en réalité mon premier roman publié est un roman noir, un “Poulpe” – dans la collection du même nom imaginée par Jean-Bernard Pouy. Elle permettait à qui le souhaitait d’écrire un polar, avec une seule contrainte une « bible » proposée autour d’un personnage, un détective privé Gabriel Lecouvreur qui menait l’enquête sur des faits de société. Jean-Bernard Pouy a donc été mon premier directeur littéraire. Cela faisait des années que j’écrivais des manuscrits avec l’espoir d’être publiée. Grasset avait repéré l’un des mes projets et Martine Boutang m’avait encouragée à le retravailler, mais je ne m’en étais pas crue capable à l’époque. Je ne m’étais pas autorisée à aller au bout de mon projet ce qui dénote un grand manque de confiance en soi. Un “Pouple” était quelque chose entre guillemets d’accessible à tous, cela n’avait a priori rien d’exceptionnel. Donc, cela me convenait. Depuis toute petite, j’ai peur de faire quelque chose dont je ne suis pas capable. J’ai écrit mon “Poulpe” en quelques semaines, envoyé le manuscrit et il a été publié en 1999. C’était une histoire policière très classique mais déjà avec les thématiques fortes qui sont les miennes : l’enfance maltraitée, les secrets de famille, la filiation, une histoire d’amour, la rencontre de deux personnages et quelque chose de sensuel. 

  • Sophie, afin de rendre le ton de « L’enfant aux cailloux » et nous donner une idée de l’intrigue j’aimerais que vous nous lisiez maintenant deux pages du roman.

Lecture d’un passage de « L’enfant aux cailloux »

  • En résumé et comme illustré dans ces pages, Elsa Préau est une ancienne directrice d’école à la retraite qui observe de chez elle le jardin de ses voisins. Le livre soulève le problème de la maltraitance car Elsa soupçonne l’un des enfants d’être maltraité. En lisant, le lecteur ne sait pas bien s’il se trouve dans le réel ou dans l’imagination de cette vieille femme. L’histoire commence juste après la guerre pour arriver plus ou moins jusqu’à nos jours. Elle va assez lentement au début, ensuite s’accélère, et soudain cela va très vite. Vous semblez avoir semé des petits cailloux, des morceaux de puzzle qui à la fin se rejoignent pour former un tout. Dites m’en plus sur vos sources d’inspiration ? Sur votre processus créatif ?

Vous avez souligné quelque chose de très important concernant la structure du récit car c’est commun à tous mes livres. Ce n’est pas volontaire ni conscient de ma part mais tous mes romans fonctionnent de la même façon. Au début, les choses sont assez lentes, ensuite il y a une accélération, puis la fin est dans une précipitation incroyable.

Cela reprend en fait les trois phases de notre vie : l’enfance où nous n’avons qu’une hâte, celle d’en sortir, puis nous sommes adultes et cela n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait, enfin on s’aperçoit qu’on est déjà de l’autre côté et le temps qui reste est extrêmement réduit. Les livres dans leur structure sont donc à l’image de la vie et mes histoires vont bien au delà du fait divers qui au début m’a inspiré. Dans « L’enfant aux cailloux », il s’agissait de deux faits divers. Soit je travaille sur des éléments qui m’interpellent, soit sur du vécu que je vais ensuite discrètement glisser dans mes personnages. Et sur mes propres peurs aussi. « L’œil noir du corbeau » est à ce titre exemplaire. Anne Darney, le personnage central, est une jeune femme, une Française qui est chef et anime des émissions de cuisine à la télévision. Elle retourne à San Francisco pour essayer de retrouver un amour de jeunesse, un jeune Américain qu’elle avait connu dans les Vosges alors qu’il était en vacances. Cette histoire est calquée sur ma propre histoire. J’avais rencontré un garçon, Bruno, qui venait de Valencienne. J’étais très amoureuse, nous nous sommes jurés un amour inconditionnel et cette relation a duré… une semaine! Ce fut un amour très chaste, j’avais seize ans, j’étais dans une grande attente romanesque et sentimentale. Mais cette histoire conduit une partie de ma vie de femme et j’ai eu un moment besoin de m’affranchir d’elle en retrouvant ce garçon. Et c’est ma quête de cet amour de jeunesse qui a amené l’idée de ce roman. Il y a souvent une part de moi-même dans mes livres.

Autre exemple, Desmond dans « Black coffee » est un homme d’une cinquantaine d’années. Il est criminologue à Chicago et va vivre à Sedona en Arizona, lorsque son père décède. Desmond a priori n’a rien à voir avec moi, et pourtant nous avons un point commun, le rapport au père, à la mort de celui-ci. Quand tous les regrets de ce qu’il n’a pas vécu avec lui remontent à la surface. Je me suis inspirée de l’enterrement de mon père pour écrire celui du père de Desmond à Sedona. Les émotions mêlées d’amertume et de colère qu’il ressent sont pareilles aux miennes.

Mais le personnage qui “me ressemble le plus” a 82 ans, c’est François Valent dans « A la mesure de nos silences ». Je ne m’en suis pas rendue compte quand j’ai écrit ce livre. C’est une amie journaliste qui a lu tous mes romans et qui m’a dit : « Sophie, c’est pas la peine de te cacher derrière un vieux bonhomme de 80 balais, je t’ai reconnue ».

Parfois, on passe des choses très personnelles dans les romans, ce qui donne une réalité aux personnages.

  • Vous venez de répondre à une question que j’allais vous poser sur les personnages et sur celui ou celle qui vous ressemble le plus, François Valent donc. Vous dites aussi que de nombreux points sont autobiographiques, j’ai noté plusieurs thèmes qui reviennent fréquemment dans vos romans. Pour reprendre l’image du blog, sachant que celui-ci constitue aussi pour vous un outil de travail, ils forment un peu comme un nuage de catégories ou de « tags ». Il y a:
    • l’Histoire (la grande/l’universelle) face à l’histoire intime (celle de la famille et de ses secrets)
    • L’influence du passé sur le présent (avec son impact sur l’avenir)
    • La relation filiale (vous mentionniez celle du père et du fils mais j’ai aussi relevé celle de la mère et de ses enfants) ainsi que la transmission
    • La folie, la maladie mentale et le traumatisme (donc une forte dimension psychologique)
    • La résilience (qui rappelons le est l’aptitude à dépasser ses souffrances par un travail sur soi, la capacité à surpasser l’adversité, à se remettre de tout)
    • Le mystère et le fantastique (il y a beaucoup de fantômes dans vos romans, surtout dans « White coffee ») ou le réel et le surnaturel ou encore le visible et l’invisible
    • La question de la justice, de la morale (culpabilité) et de dieu aussi….
  • Pourquoi ces thèmes ? Est-ce que votre passé, Sophie, nourrit votre avenir ? Plus précisément, comment comprenez-vous le phénomène de résilience ? Que cherchez vous à faire ressortir
    (note : le terme a été inventé par le psychiatre, psychanalyste et neurologue, Boris Cyrulnik, qui a beaucoup écrit sur son expérience personnelle de la résilience).

La résilience est quelque chose dont j’ai pris conscience il y a peu, seulement une dizaine d’années. Et c’est ce qui conduit ma vie. Comme je vous le disais auparavant, j’ai grandi avec un manque de confiance en moi exemplaire. Ma mère me répétait souvent: « Sophie, avec les moyens que tu as, tu ne pourras jamais faire mieux ». Pour le public de lecteurs américains, cela paraît certainement étrange cette façon d’élever un enfant. Je percevais donc mon avenir comme à travers une vitre; j’étais une sorte de vilain petit canard. Gauchère, je souffrais d’un trouble visuel et portais un cache alternativement sur un œil. J’étais dyslexique et j’avais un grand frère qui me martyrisait volontiers, car j’étais la petite sœur qui empiétait sur son territoire et lui volait l’amour de ses parents. J’étais persuadée que je n’étais pas jolie, que tout serait très dur pour moi dans la vie même si je faisais des efforts. Si j’avais imaginé qu’un jour je serais romancière et ici avec vous ce soir, j’aurais hurlé de rire. Je pense que ce qui m’a sauvé alors, ce sont mes rêves. Je rêvais de devenir actrice à Hollywood, j’adorais les actrices hollywoodiennes, et j’avais une fascination pour les Etats-Unis, la langue anglaise. Je m’imprégnais donc de tout cela, fortement, et me suis très tôt intéressée au cinéma. A l’université j’ai associé les Lettres Modernes à l’étude du cinéma. L’analyse de films est quelque chose qui m’a passionnée. Sans doute est-ce pour cela que l’ont dit souvent de mon écriture qu’elle est cinématographique.

Je n’ai pas eu une enfance maltraitée bien sûr mais ce n’était pas facile. Il y a eu plusieurs drames dans ma famille: la maladie de mon frère, le divorce des parents, la maladie mentale de ma mère….Ce ne sont pas des choses simples quand on a seize ans et qu’on essaie de se structurer. J’ai avancé de ma petite Lorraine à Nancy puis à Paris, en me battant. A Paris, on m’a vite fait comprendre que je venais de la province. J’ai eu la chance de gagner le concours de France Inter et de faire les bonnes rencontres, des parrains prestigieux (le journaliste Claude Villers, le scénariste Jacques Santamaria, le réalisateur Jacques Barratier). Ils m’ont soutenue et encouragée. Je me suis donc construite en réponse aux “empêchements”. “L’empêchement” principal c’est mon frère (La résilience la plus forte). Mon frère a déclenché une maladie auto-immune. En dix-sept ans il est devenu tétraplégique. Ce frère, qui m’avait martyrisée et que j’avais détesté pour toutes les misères qu’il m’avait faites dans mon enfance, se retrouvait au fauteuil, il ne pouvait plus bouger, plus parler alors que moi je vivais, j’allais à l’école, j’avais des amis. Je me suis alors sentie extrêmement coupable. Inconsciemment, ma vie, je devais la réussir deux fois mieux, tout devait être deux fois mieux – pour lui. La douleur de ce frère, j’en ai fait mon moteur. Je ne suis pas seule. Je porte mon frère en moi.

  • Merci pour tous ces détails. Cela me rappelle les fantômes qui sont dans vos livres, cette sorte de double permanent. Je comprends mieux maintenant pourquoi on sent toujours en vous lisant le dédoublement, le visible et l’invisible, le réel et l’imaginaire.
  • Dites nous en plus maintenant sur vos titres de romans, à quel moment voient-ils le jour, sont-ils là d’emblée ou s’imposent-ils au fil de l’écriture ?

« Black coffee », c’est une idée de mon éditeur. J’avais proposé ce titre mais je voulais le changer pour «La route assassinée ». Mon éditrice a pensé que « Black coffee » était beaucoup plus vendeur pour un polar. Et en fait, elle n’avait pas tort car nous avons maintenant une trilogie, ce que j’ignorais au début. Mais ni moi ni mes personnages n’avions envie de nous quitter, et le retour de mes lecteurs allait dans ce sens. Donc après « Black coffee » vient « White coffee » et bientôt « Bloody coffee » achèvera l’histoire – noir, blanc et rouge. Le terme « Bloody » est à entendre dans le sens de la filiation, des liens du sang. Car dans mes livres, bien qu’ils soient des polars, vous trouverez peu de scènes sanglantes. Comme je le disais avant, je suis une tricheuse. Le thriller est un moyen d’écrire des histoires sombres, certes, mais pour mieux ramener le lecteur vers la lumière.

Pour trouver le titre de « A la mesure de nos silences », ce fut une évidence, une phrase du livre. C’est très symbolique et très fort. On parle de mesurer les silences et le personnage principal est un producteur et journaliste de radio qui s’est brutalement arrêté suite à un problème de santé. Tout à coup, le voilà plongé dans le silence. Et il est intéressant de constater que le seul livre que je consacre à mon ancien métier porte la marque du silence.

Pour le choix du titre du roman « Dans l’œil noir du Corbeau », je me trouvais sur la route avec mon mari, en voyage de repérage près de San Francisco et tout à coup je lui ai dit : « Arrête-toi, arrête-toi ! Ma scène de crime, je crois que c’est là ». On s’est arrêtés au bord de la falaise. Et soudain, sur le terre-plein, je vois deux corbeaux immobiles, qui regardent dans ma direction. Deux, comme mes personnages. Frappée par cette image, je me suis intéressée à la symbolique du corbeau ; son œil enferme les âmes. J’ai donc décidé d’utiliser ce motif pour le titre.

Le choix du titre de « L’enfant aux cailloux » est en lien avec le fait que l’enfant joue avec des cailloux évidemment, mais dans ce titre il y a bien autre chose, il y a aussi ces petits cailloux qu’on met sur les tombes en hommage aux disparus. Cela fait référence à mes origines juives auxquelles je fais référence dans certains de mes livres. Des origines dont il est difficile de parler dans ma famille, pour une raison que j’ignore. Cela fait partie des fantômes qui m’habitent.

  • Je vais rebondir sur « A la mesure de nos silences » pour parler musique car le silence fait aussi partie de la musique. Sophie, vous êtes spécialiste de musique de films et aimez la musique, jouez-vous d’un instrument?

Je fais du piano et j’ai longtemps chanté, composé, improvisé. A la radio, France Culture, France Inter et France Info, j’ai eu grand plaisir à mettre en avant le travail des musiciens car on leur doit souvent 50% de la qualité du film, voire plus, surtout quand il s’agit de films commerciaux. Ces artistes ont un rapport essentiel à l’image. On pense aux duos Alfred Hitchcock/Bernard Herrmann, Steven Spielberg/John Williams, Mr Night Shyamalan/James Newton Howard, un compositeur que j’écoute beaucoup lorsque j’écris. Comme Thomas Newman. Je cite beaucoup d’Américains, mais j’admire également des compositeurs français comme Alexandre Desplat et Gabriel Yared qui tous les deux ont eu un oscar.

  • Vous avez fait un portrait de Gabriel Yared ?

Oui, j’ai eu cette chance. Pour France Culture. J’ai également consacré d’autres émissions à Philippe Sarde (Tess), Nicolas Piovani (La vie est belle) et Antoine Duhamel (Pierrot le Fou).

  • J’ai pris beaucoup de plaisir en vous lisant car chaque fois on y entendait de la musique, il y avait même une référence musicale directe, alors j’écoutais le morceau en continuant ma lecture. J’ai fait ainsi une très belle découverte : Stacey Kent. Magnifique – notamment dans cette chanson : « It might as well be spring ».
    Je me suis baignée dans toutes ces musiques au travers de l’écriture, c’était merveilleux.
    Rappelons qu’Elsa est pianiste et qu’elle joue pour l’enfant aux cailloux ; dans « Black coffee » vous commencez sur la scène tragique et le massacre de la famille de Desmond, Nora est dans sa cuisine et chante Peggy Lee, plus précisément la chanson qui se retrouve dans votre titre « Black Coffee ». Dans « White coffee » enfin, chaque partie est vue à travers une partition musicale.
    Alors, si moi lectrice j’ai lu en écoutant la musique mise en correspondance, est-ce que vous, Sophie, vous avez écrit sur ces musiques?

J’ai écrit les premières lignes en les écoutant, en effet. Je cherche des textures musicales qui donnent le décor. C’est une aide dans l’acte de création. Mais, quand je relis, je ne mets pas de musique car elle a tendance à enjoliver ce que vous avez fait.

  • Vos livres sont denses mais se lisent facilement. La musique aide probablement. Ils commencent doucement mais vont en crescendo, on est dans le suspens. Il y a beaucoup d’oralité aussi, des lettres insérées, des morceaux de journal qui permettent de faire avancer l’action. Les chapitres sont courts, deux pages au maximum. Cependant une grande concentration reste nécessaire à la lecture car on change de tableau et aussi de temps. « Black Coffee » commence en 1966 et va jusqu’en 2011, les tableaux ne sont jamais les mêmes. Le lecteur lit vite mais doit donc rester concentré.
    J’apprécie par ailleurs vos belles phrases et la qualité d’écriture de vos romans. On l’a entendu lors de votre lecture, et j’aurais pu citer ici de nombreux exemples, mais disons que j’ai passé mon week-end dans la chaleur et la poussière de ces huit états de la route 66. J’y étais, totalement, entièrement.
    Est-ce que vous passez beaucoup de temps sur chaque phrase ? Ou bien vous relisez-vous et recoupez-vous ensuite?

Je travaille énormément mon texte. Le prologue de « White coffee » je crois l’avoir repris entièrement une centaine de fois.
Un gros travail a lieu avant la remise du manuscrit à l’éditeur mais ce n’est que le début des corrections. C’était notre juste de conversation hier à Ragdale Foundation, avec les autres auteurs en résidence : c’est parfois un moment douloureux. Dans le prologue de “White coffee”, il y a cette phrase  « Quand le rideau colère serait levé» que j’ai dû imposer. Il s’agit de décrire la puissance d’un orage sur le désert de Mojave. Par trois fois, j’ai trouvé “rideau colère” barré sur les épreuves : “trop littéraire”. Un comble !

Sophie fait lecture du prologue.

…Il faut que cela chante, que cela rime. C’est le prologue, je dois vous emmener vite quelque part et jeter le trouble avec l’évocation de ce personnage, ce décor.
La poésie influe de plus en plus sur mon écriture.

  • Oui, cela se sent. Et vous citez d’ailleurs certains poètes, Paul Celan, Baudelaire.
  • « Black coffee » et « White coffee » se passent tous les deux aux Etats-Unis. Vous avez fait deux blogs que nous allons découvrir sur l’écran maintenant.
    « Black coffee », ce sont quatre mille kilomètres de route à travers huit états, le roman se déroule sur environ cinquante ans. Il y a deux histoires en parallèle et elles finissent par se rejoindre : celle de Desmond et de la tragédie familiale en Oklahoma en 1966 que j’évoquais au début de notre entretien, et aussi celle de la famille Lombard, Pierre et Lola qui se lancent avec leur fils et leur fille sur la route mythique 66. Les destins vont se croiser. Il existe deux blogs, un pour « Black coffee » et l’autre pour « White coffee » qui illustrent la démarche d’écriture et les recherches sur le sujet.

Je voudrais vous montrer les photos de la route 66. Elles sont sur mon blog. Je raconte tout le voyage de repérage – un voyage qu’on a fait en 2011 avec mon mari et mes enfants.
On est arrivés à Chicago, puis mon mari a voulu faire un « petit » détour de mille miles pour voir des amis à Chautauqua institution dans l’état de New York. Nous sommes ensuite revenus à Chicago, puis a commencé notre périple sur la route 66.

Au fur et a mesure du voyage, mon fils se transformait en petit cow-boy. Il avait trois ans lors de ce voyage. Je me suis inspirée de lui pour le personnage de Gaston dans le roman.
Mille cinq cent photos…la plupart ont été prises par ma fille.

Je souhaitais retourner à Sedona, un endroit que j’avais découvert quelques années auparavant grâce à un ami américain. Nous sommes arrivés ensuite à Jérôme, une ville fantôme.
Je raconte des tas d’anecdotes souvent cocasses sur ce blog. Je vous invite donc à vous promener (http://blackcoffee66.blogspot.fr) .

Un autre blog est consacré au making off de “White coffee” et à Chatauqua Institution, un endroit tout à fait hors du temps et fabuleux. (http://whitecoffee66.blogspot.fr)

  • Chautauqua Institution, c’est là où se passe la plus grande partie de l’intrigue dans « White coffee ». Entre la Lorraine et les Etats-Unis.
  • Vous avez commencé un livre et vous êtes maintenant dans une trilogie. On suit vos divers personnages, alors est-ce qu’il y a des codes dans leurs noms?
    Je crois en avoir repéré certains, par exemple « Samuel Haas » comme le lièvre et on comprend pourquoi dans l’histoire.
    Est-ce que Lola est pour Dolores, celle qui souffre, ou bien pour la femme fatale ?

C’est la femme fatale de « L’Ange bleu ». Lola Lombard, l’inspiration vient aussi de l’actrice Carole Lombard. J’en parle dans le blog.
Je fais un parallèle entre les paysages lorrains et l’Arizona. Je travaille beaucoup ma documentation.
Et ici, vous trouverez ce qui se cache derrière les personnages. Desmond Blur est inspiré de l’acteur Viggo Mortensen. C’est un personnage flou (Blur), surtout pour lui-même, et qui ne veut pas reproduire les drames de son enfance…Le nom “Lombard” vient de Lombardie, d’origine italienne donc (comme moi). Ce terme désignait autrefois un commerçant, un banquier ou un usurier. Sans le savoir j’ai donné ce nom à un personnage qui a un gros problème avec l’argent. Le souci de Lola est de savoir comment payer ses factures (son mari a disparu du jour au lendemain en la laissant avec des dettes).
J’aime assez en dire plus sur mes personnages, à travers leurs noms.

  • Vous montrez beaucoup de photos ici et tous vos livres sont très visuels. Je sais que « L’Enfant aux cailloux » va être filmé, pouvez-vous nous en dire plus sur ce film ?

Il est difficile d’en dire plus à ce stade car l’actrice principale n’a pas encore signé (Catherine Deneuve).

  • La traduction en anglais, elle est là : « The Stone Boy ». Vous avez participé à la traduction du livre ?

Oui, un peu et pour des détails précis. La traductrice est Irlandaise et je pense qu’elle a parfaitement bien restitué le style « vieille France » d’Elsa qui parle et écrit comme une institutrice d’une autre époque.

  • Pour “Black coffee”, y-a-t-il des projets de traduction ?

Je suis en recherche d’un éditeur pour cette trilogie. Je travaille également sur un projet d’adaptation cinématographique.

  • Merci beaucoup pour ces romans que j’ai lus avec un grand plaisir. Et maintenant une chose est claire, je veux absolument aller sur la route 66. C’est magnifique quand la littérature vous donne ainsi une envie ou une énergie que vous n’aviez pas avant. Pour ceci et cet échange, un grand merci Sophie !

Merci à vous Isabelle, et à l’Alliance Française de Chicago pour ce brillant et chaleureux accueil.

Sophie Loubière

 

Leave a comment